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Entre le Mali et l’Algérie, il faut restaurer « un climat minimal de confiance »

Entre le Mali et l’Algérie, il faut restaurer « un climat minimal de confiance »

Depuis la destruction d’un drone malien par l’armée algérienne à Tinzaouatène, à la frontière entre les deux pays, c’est l’escalade entre les deux anciens alliés. Rappel des ambassadeurs, fermeture de l’espace aérien… la crise diplomatique inquiète la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest.

C’est le dernier épisode venu raviver de vieilles tensions entre le Mali et l’Algérie. L’Algérie a abattu le 31 mars « un drone de reconnaissance armé à proximité de la ville frontalière de Tin-Zaouatine ayant pénétré [son] espace aérien sur une distance de deux kilomètres », a expliqué le ministère de la Défense dans un communiqué.

Les données radars « établissent clairement la violation de l’espace aérien de l’Algérie ». Alger affirme également qu’il s’agit de la troisième incursion malienne depuis 2024.

Des accusations immédiatement rejetées par le Mali, qui affirme que l’épave du drone a été localisée à 9,5 kilomètres au sud de la frontière avec l’Algérie. L’enquête malienne conclut « avec une certitude absolue que le drone a été détruit » à la suite d' »une action hostile préméditée du régime algérien ».

« Avec l’abattage du drone, l’Algérie a dévoilé qu’elle est une base militaire aérienne pour la rébellion et le terrorisme international », a accusé le Mali, dirigé par une junte militaire depuis le double coup d’État de 2020 et 2021.

Le Mali reproche à Alger d’entretenir une « proximité avec les groupes terroristes », notamment dans la région frontalière gangrenée depuis 2012 par les violences de groupes affiliés à Al-Qaïda, au groupe État islamique et d’une rébellion, notamment touarègue.

En janvier 2024, la junte malienne a annoncé la « fin, avec effet immédiat », de l’accord de paix d’Alger signé en 2015, longtemps jugé essentiel pour stabiliser le pays. Le Mali s’est allié à la Russie, tournant le dos à la France, à l’Europe mais aussi à la mission de stabilisation des Nations unies (Minusma).

Après la destruction du drone, l’Alliance des États du Sahel (l’AES, réunissant Mali, Niger et Burkina Faso) a décidé de « rappeler pour consultations les ambassadeurs des États membres accrédités à Alger » tandis que le Mali et l’Algérie se sont mutuellement fermé l’accès à leurs espaces aériens.

La junte malienne a annoncé son retrait avec effet immédiat du Comité d’état-major conjoint (Cémoc) basé en Algérie – une alliance de forces armées du Sahel contre le « terrorisme » – ainsi qu’une prochaine plainte devant des instances internationales « pour actes d’agression ».

De son côté, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) a récemment exprimé sa « profonde préoccupation » et appelé au dialogue « pour régler les différends ».

Pour Raouf Farrah, chercheur et spécialiste du Sahel et de l’Afrique du Nord à l’ONG Global Initiative Against Transnational Organized Crime basée à Genève, le « retour à un processus politique dans le nord du Mali est indispensable » à la désescalade.

France 24 : Les relations entre Alger et Bamako se sont dangereusement détériorées ces derniers jours. Comment l’expliquer ?

Raouf Farrah : Cette détérioration résulte d’un enchevêtrement de divergences stratégiques, de tensions diplomatiques et de réalignements géopolitiques. Si le coup d’État de 2020 à Bamako a constitué un tournant, le véritable point de bascule a été la décision des autorités maliennes de se retirer de l’accord de paix et de réconciliation issu du processus d’Alger (signé en 2015), un cadre que l’Algérie, appuyée par la communauté internationale, avait soutenu avec constance pour stabiliser le nord du Mali par une approche politique inclusive.

Alger considère cet abandon comme une remise en cause grave de la stabilité régionale et de la sécurité de ses propres frontières. Cette rupture a été suivie par une série d’actes hostiles et de discours accusatoires proférés par Bamako, notamment les accusations d' »ingérence ». L’incident du drone abattu par l’Algérie constitue le point culminant de ces tensions.

Parallèlement, la présence du groupe paramilitaire Wagner, employé par Bamako et désormais actif à proximité de la frontière, accentue les inquiétudes algériennes face à l’insécurité croissante et à l’internationalisation du conflit sahélien.

À cela s’ajoute un climat de défiance nourri par un souverainisme exacerbé et par la réorientation diplomatique de l’Alliance des États du Sahel, qui tend à marginaliser les cadres traditionnels de coopération régionale. Les tensions entre l’Algérie et le Mali s’inscrivent dans un contexte plus large de crispations diplomatiques impliquant la Cédéao et plusieurs pays voisins, notamment le Bénin, le Nigeria ou le Sénégal.

La lutte contre le terrorisme attise-t-elle les tensions entre ces deux pays voisins ?

Historiquement, la lutte contre le terrorisme a été à la fois un terrain de coopération et une source persistante de malentendus entre Alger et Bamako. Le Cémoc – cadre limité de coordination sécuritaire entre l’Algérie et les pays sahéliens – symbolisait cette coopération. Mais depuis l’arrivée de la junte, les accusations de soutien algérien au terrorisme ont été instrumentalisées à des fins de politique nationale. S’il est vrai que certains groupes extrémistes violents actifs en Algérie dans les années 1990 ont trouvé refuge dans le Nord malien au début des années 2000, les accusations actuelles de soutien algérien au terrorisme sont infondées.

L’Algérie, qui a durement souffert du terrorisme, privilégie dans son extrême sud une approche combinant lutte sécuritaire et politique de réintégration pour ceux qui déposent les armes.

À l’inverse, la junte malienne a opté pour une réponse strictement militaire, appuyée par le groupe Wagner, en rupture avec les logiques de médiation.

Cette divergence alimente une méfiance mutuelle : Bamako accuse Alger de complaisance envers certains groupes touaregs, tandis qu’Alger s’inquiète de la militarisation du Sahel en dehors de tout cadre régional.

Que contenait l’accord d’Alger signé en 2015 dont le Mali s’est retiré ?

L’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, issu du processus d’Alger en 2015, repose sur trois piliers principaux : la reconnaissance de la diversité du Mali à travers une gouvernance décentralisée renforcée, incluant des mesures de régionalisation politique pour les régions du Nord ; le désarmement, la démobilisation et la réintégration (DDR) des groupes armés signataires ; la mise en place de mécanismes de sécurité mixtes (comités de suivi, patrouilles conjointes) ainsi qu’un programme ambitieux de développement économique.

Il prévoit également un fonds de développement pour le Nord et engage le gouvernement malien à promouvoir une justice transitionnelle. L’Algérie a joué un rôle important dans la rédaction et la mise en œuvre initiale de cet accord.

Même si ce cadre a échoué pour de multiples raisons – dont un manque de volonté politique des parties en question – à assurer le retour de la paix dans le Nord, il était un cadre de travail reconnu qui permettait aux acteurs de discuter. Ce cadre de dialogue n’existe plus aujourd’hui.

Pourquoi le Mali a-t-il dénoncé cet accord ?

La dénonciation s’explique par un recentrage autoritaire du pouvoir. Dès le coup d’État d’août 2020 au Mali, l’accord est perçu par les militaires comme une contrainte à leur capacité de « reconquête » territoriale au nord, notamment face aux revendications autonomistes touarègues. C’est devenu encore plus flagrant après le deuxième coup d’État, en mai 2021. La junte rejette par ailleurs les mécanismes de cogestion sécuritaire et politique avec les groupes armés, préférant une logique d’affrontement et d’unification par la force. Enfin, la méfiance envers la médiation algérienne, considérée à tort ou à raison comme déséquilibrée, a servi de justification supplémentaire à la dénonciation.

Quelle issue pour cette crise entre l’Algérie et le Mali ?

Une issue diplomatique demeure possible, à condition que les deux autorités politiques restaurent un climat minimal de confiance. Du côté algérien, une clarification sur les modalités de son engagement au Sahel et de son rôle dans le nord du Mali pourraient contribuer à apaiser les tensions. Du côté malien, la reconnaissance du rôle historique de l’Algérie dans les processus de paix et l’arrêt des campagnes de diabolisation publique constitueraient des gestes forts.

La réactivation de mécanismes bilatéraux, sécuritaires et diplomatiques – gelés depuis des mois –, serait une première étape vers une désescalade.

Quelles sont les solutions selon vous pour assurer une forme de stabilité régionale ?

Le retour à un processus politique dans le nord du Mali est également indispensable. L’approche strictement militaire montre ses limites. Une stabilité durable passe par la restauration d’un dialogue inclusif libéré des postures nationalistes exacerbées. Il est nécessaire de réactiver les mécanismes de coopération transfrontalière entre États sahéliens et maghrébins.

Le Mali accuse l’Algérie de soutenir le Mouvement de l’Azawad considéré par Bamako comme groupe « terroriste ». Qu’en pensez-vous ?

Cette accusation repose sur une lecture simplifiée des dynamiques locales. Il est vrai que plusieurs membres de ces mouvements ont des liens très forts avec l’Algérie. Beaucoup de leurs familles sont à Tamanrasset. La majorité des produits de la vie quotidienne qui circulent dans le nord du Mali viennent d’Algérie.

Récemment, l’Algérie a temporairement ouvert des points d’entrée pour accueillir des réfugiés du nord de l’Azawad fuyant les combats entre les groupes rebelles et l’armée malienne. Chose qui a renforcé la perception par Bamako d’un parti pris algérien en faveur des mouvements autonomistes.

L’Algérie n’a pas intérêt à soutenir militairement les groupes rebelles. Elle préconise une solution politique au conflit dans le Nord. Mais elle ne peut ignorer la complexité des liens humains ni réduire leur combat à une grille purement politique.

Le Mouvement de l’Azawad contribue-t-il à exacerber les tensions dans la région ?

C’est l’expression d’une composante structurelle du nord du Mali. Mais elle ne peut être réduite à une source de conflit : elle reflète des revendications de reconnaissance identitaire non satisfaites depuis des décennies, d’autonomie politique, de justice sociale, de développement humain et un legs de la violence coloniale. Une approche politique tenant compte de ces enjeux est essentielle pour mettre fin aux violences.

À qui profite la détérioration de la situation dans la région du Sahel ?

La fragmentation sécuritaire du Sahel bénéficie d’abord aux groupes jihadistes, aux réseaux de trafic d’armes et, dans une certaine mesure, aux puissances étrangères qui tentent d’y projeter leur influence en l’absence d’un cadre maghrébo-sahélien de coopération ambitieux.

À force de divisions nourries par les nationalismes et les logiques d’interventions étrangères, c’est l’ensemble du Sahel – et plus largement le continent africain – qui en sort affaibli.

Par Tahar HANI
france 24

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